Tariquet fait boire l'Amérique | Cave L’îlot Vins Martinique
Le secret des frères Grassa pour vendre leur vin du Gers.
SOURCE : Un article de Entreprendre.fr, février 2018.
Comment transformer une maison d'Armagnac centenaire en référence en matière de vente de vins à l'international (10 millions de bouteilles, principalement un blanc sec), notamment aux États-Unis et en Grande Bretagne ? Aujourd'hui les frères Grassa, Gascons bon teint, à la tête de 1100 ha de vignoble ont fait du domaine du Tariquet un cas d'école.

Le secret des Frères Grassa ?
À peine 11 mois séparent Rémy d'Armin. Les deux frères ont donc grandi ensemble sur l'exploitation viticole dans laquelle ils ont évolué depuis leur plus jeune âge. Il s'agissait d'une exploitation dédiée essentiellement à la viticulture, mais aussi à la polyculture et à l'élevage «Alors que nous étions enfants dans les années 80, précise Rémy Grassa, nous avons vécu l'évolution de cette configuration typique de la propriété en Gascogne vers une spécialisation uniquement centrée sur la viticulture avec le développement de vins en complément des armagnacs »
Passionné par cet univers, les frères Grassa ont orienté leurs formations en ce sens sans jamais se sentir contraints de rejoindre l'entreprise familiale. Armin a suivi un cursus technique - un BTS de gestion d'exploitation agricole et un second spécialisé en viticulture et œnologie. Rémy, quant à lui, a effectué une formation d'ingénieur en agriculture avec une spécialisation en viticulture et œnologie. Très différents ct complémentaires, ils peuvent ainsi se remplacer tour à tour.
L'EMPIRE DU GERS
- Nombre de salaries : 130 personnes en équivalent temps plein
- CA 2016:34 MC
- Surface totale du vignoble : 1125 ha en production
- Nombre de bouteilles vendues par an : 10 M de bouteilles de vins des Côtes de Gascogne I.G.P. et 140000 bouteilles de Bas-Armagnac A.O.C.
Armin a plutôt un profil terrain axé sur la viticulture et Rémy assure davantage la gestion financière et le suivi commercial. Tous deux se rejoignent en période de vendanges et de vinification pour concevoir ensemble chaque millésime. Chacun à ses centres d'intérêts Armin est passionné de moto et de mécanique ; Rémy est un amateur de photo
«L'éloge le désobéissance»
1982 fut une date charnière à laquelle ils décidèrent de produire leur premier vin blanc, un vin composé à lOO% du cépage Ugni blanc, cépage emblématique du pays de l'armagnac. Jusque-là, le domaine ne faisait que des vins de chauffe distillés à l'alambic pour produire des armagnacs. L'idée un peu folle de créer un vin dans la région pour le mettre en bouteilles fut le point de départ d'un important développement du domaine.
«Mon père a créé un vin blanc d'un style nouveau très fruité, aromatique, charmeur, avec un rapport prix/plaisir particulièrement attractif à partir de cépages normalement destinés aux eaux-de-vie. À cette époque, à l'exception des grandes régions historiques, le vin blanc ne séduisait guère et était député pour donner mal à la tête à cause des sulfites. »
Yves Grassa a donc développé des techniques afin d'obtenir des vins blancs océaniques croquants, très aromatiques, avec une agréable sensation de fraicheur, qui soient plaisants à boire.
«Pour la petite histoire, raconte Rémy Grassa, au moment de la première mise en bouteilles, il fallait un minimum de 20 000 bouteilles pour qu’un prestataire de service se déplace avec une chaîne d'embouteillage mobile. Nous avons donc dû acheter un lot de 20 DOO bouteilles vides A l'époque, mon grand-père avait déclaré à mon père sur le ton de l'humour (tout en le pensant probablement réellement), que la famille aurait suffisamment de vin à boire jusqu'à la fin de va vie. Dans notre famille, il est assez coutumier de mettre la charme avant les bœufs »
Ce lancement remporta un franc succès, ce vin blanc s'exportera aux Etats-Unis et sera élu «meilleur vin blanc de l'année 1987» à Londres, avant d'être plébiscite par les meilleurs cavistes. Les partenaires importateurs et distributeurs ont cru au projet et ont très largement contribué à la commercialisation de cette cuvée «Classic». Le développement s'est opéré a l’export dans un premier temps, puis en France a partir du milieu des années 90. La famille Grassa a ensuite planté de nouveaux cépages jusqu'alors inconnus en Gascogne et créé de nouvelles cuvées de vins blancs secs Animé par la volonté de toujours innover et surprendre, Yves Grassa élargira la gamme de vins blancs dans les années 1990 en lançant deux moelleux à base de Gros Manseng et de Petit Manseng les «Premières Grives» et les «Dernières Grives»
Le succès des vins Tariquet sur les tables branchées de New-York atteste qu'une politique commerciale volontariste qui fait la différence..,»
Les vignobles s'étendent sur 1100 ha, situés pratiquement tous en Gascogne.
La construction d'un domaine singulier
«Nous avons recruté nos premiers agents commerciaux en 1997 afin de pouvoir nous structurer et développer le marché français, explique le plus jeune des deux frères. À l’export, nous avions des partenaires importateurs spécialiste de leur marché et basés dans leur propre pays. Une personne dédiée assurait le relais et le suivi à l’export (service client, logistique). » En France, le fait de s'adresser au circuit traditionnel (cavistes, hôtels, restaurants, cafés, grossistes) supposait de s'organiser et de disposer de structures idoines pour assurer un service client de qualité Aujourd'hui, l'équipe commerciale France est composée de trois personnes qui animent une soixantaine d'agents multicartes basés dans les différents départements français.
Perpétuer un héritage tout en jouant sur l'innovation
Les deux frères sont la cinquième génération active à travailler sur le domaine «II est important de le préciser, ponctue Rémy Grassa, car le sujet ne se résume pas à un enjeu patrimonial, il s agit d’une activité principale dans laquelle nous nous investissons depuis cinq générations. »
L'esprit d'innovation est très présent dans la culture de l'entreprise. «Nous aimons le vieil adage selon lequel il ne faut jamais s'endormir après une succession de petites réformes réussies. En même temps, lorsque nous créons quelque chose de nouveau dans le domaine viticole, nous ne devons jamais oublier l'existant.» Planter une vigne suppose de s'inscrire dans une vision à long terme 30, 40 voire 50ans. Lorsque la famille Grassa imagine une nouvelle cuvée, les vins ou Bas-Armagnacs existants ne sont pas remis en cause pour autant, l'existant perdure et continue de se développer. Au moment de la création des premiers vins blancs, l'attention portée aux armagnacs n'a pas diminuée. II n'existe pas de rupture mais des changements dans la continuité. II est de coutume au sein de la famille Grassa d'assurer la transmission d'une génération a une autre très en amont, avant que la nouvelle génération n'atteigne la trentaine Une pratique assez originale dans un univers viticole ou les transmissions sont généralement plus tardives.
«Dans nos métiers, les investissements sont lourds, d'autant que l'on a toujours privilégié de réinvestir le résultat car il n'y avait pas de gros patrimoine à l'origine.»
«Notre famille pense qu'il faut à chaque génération le temps de s'investir dans au moins deux cycles de 15 ans, détaille Rémy Grassa. Cela correspond pour nous à un cycle d'investissement foncier. Dans nos métiers, les investissements sont lourds, d'autant que l'on a toujours privilégié de réinvestir le résultat car il n'y avait pas de gros patrimoine à l'origine Être en capacité de transmettre tôt est un véritable moteur de notre histoire, il est crucial de motiver la nouvelle génération même si elle fonctionne différemment et qu’elle n’a pas forcément les mêmes réflexes de gestion et les mêmes méthodes. Nous avons coutume de dire qu’un jeune chêne ne peut pas pousser à l'ombre d'un vieux chêne »
Un vin pour l'Amérique
Alors que 60% du chiffre d'affaires est réalisé en France, l'objectif à l’ avenir est d'équilibrer le ratio avec l'export Le Domaine du Tariquet exporte aujourd'hui dans une soixantaine de pays, principalement en Europe du Nord et en Amérique du Nord. Même si les places sont de plus en plus disputées du fait de l'existence de jolis vins dans le monde entier, l'image de la France reste un gage important de qualité.
«Notre histoire et notre stabilité participent à susciter un sentiment de confiance en retour L'environnement concurrentiel est extrêmement difficile et il n'y a pas suffisamment de places pour tout le monde. L'innovation, la qualité du produit et l'originalité sont donc essentielles pour exister et se différencier»
Toutefois, le Domaine du Tariquet évolue dans un univers économique où il existe des opportunités pour les marchés de niches et une importante diversité. La situation n'est pas comparable à celle de certains secteurs de l'agroalimentaire avec quelques comptoirs qui dominent la distribution et des marques fortes omniprésentes. Dans le vin, même s'il est complexe déjouer dans la même cour que les très gros négociants et opérateurs sur le plan financier, il existe une grande diversité de points de ventes (restaurants, cavistes...) qui permet de conserver une pluralité parmi les fournisseurs et de maintenir les opportunités. «Nous nous concentrons ainsi sur ces marchés de niche, éclatés et diversifiés», commente Rémy Grassa.
Les enjeux forts pour l'avenir
«Nous devons consolider notre développement en France avec pour limite le respect de la qualité de la distribution. Nous évitons défaire des
coups qui ne correspondraient pas à notre image.»
La famille Grassa est très attentive à ce point car la valeur de long terme est essentielle. Elle a toujours réinvesti dans l'entreprise afin de pouvoir poursuivre son développement. Le principal levier de croissance concerne le développement à l'export avec l'extension à d'autres zones géographiques afin de répartir le risque sur un plus grand nombre de pays et de marchés afin d'être moins dépendants de certains marchés importants.
«Nous devons travailler sur le tissu relationnel, commente Rémy Grassa, et continuer de nous entourer de collaborateurs internes – développement de nos équipes - et externes – agents commerciaux - de qualité afin de nous représenter dans différentes régions et à travers les différents pays. Cet important travail collectif de construction de partenariats sur le long terme constitue une base solide que nous devons entretenir et développer pour pouvoir nous projeter positivement. »
Le développement du Domaine du Tariquet est intrinsèquement lié et limité par son activité de propriétaire-récoltant – dans la mesure où la famille Grassa souhaite assurer la maîtrise de tous les métiers, depuis le pied de vigne jusqu'à la mise en bouteille et la commercialisation.
L'objectif s'inscrit sur le long terme : continuer à renforcer l'image et la perception qualitative des vins et Bas-Armagnacs en France et à l'export. Une recette qui pourrait inspirer d'autres vignerons en mal de développement. L'avenir est au delà des frontières.
ll était une fois Tariquet.
La genèse du Domaine du Tariquet
Le domaine viticole du Tariquet existe au moins depuis 1683, date pour laquelle on dispose des premières traces d'armagnacs produits sur la propriété. En 1912, la famille Grassa a acheté le Château du Tariquet à Eauze dans le Gers en revenant des États-Unis. Elle avait en effet quitté la montagne de l'Ariège pour la ville de New York afin de gagner sa vie. Pour des montagnards, s'installer dans la plaine et posséder des terres plus fertiles que la terre caillouteuse des montagnes était la réalisation d'un rêve. À partir de cet instant, la famille Grassa a poursuivi l'exploitation du domaine et développé la production.
Les valeurs portées par le Domaine du Tariquet
En 1946, leurs grands-parents, alors jeunes mariés, se sont installés sur l'exploitation et ont développé sa surface en acquérant petit à petit des terres agricoles. Chaque nouvelle génération marque un nouveau tournant dans l'histoire du domaine. Une nouvelle page s'est ouverte en 1972 lorsque leur tante Maïté et leur père Yves ont repris les rênes. Ils ont participé très activement à l'agrandissement de la surface du vignoble familial. «Nous avons toujours souhaité développer le domaine en tant que propriétaire-récoltant afin de maîtriser l'ensemble de la chaîne de production, de la plantation du pied de vigne jusqu'à la mise en bouteilles, argue le cadet de la fratrie. Mon frère et moi avons pris la suite de notre père en 2005 pour poursuivre cette philosophie avec notre tante.»
Isabelle Jouanneau
SOURCE : Un article de Entreprendre.fr, février 2018.
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